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Le pouvoir des liens du sang

Asher

Année 1724

L’aube approchait à grands pas. Les feuilles s’agitaient sur les branches des Aegiros, se balançant au grès du vent. La clôture en bois effritée craquait par la force du vent. L’odeur des pins chatouillèrent les narines du jeune homme. Mais ce n’était pas cette beauté naturelle qui m’avait attirée dans cet endroit envoûtant. Non, c’était une odeur âcre et amère. L’odeur délicieuse dont se nourrissent toutes les personnes possédant des canines pointues. Ce souffle de vie qui vient perturber les pouvoirs métaphysiques et décupler les sens. Cette odeur, je la connaissais bien ; c’était celle du sang.

Je l’ai senti bien avant de voir les premières gouttes de sang sur le sol blanc immaculé, un sol de terre couvert de neige. Un tapis de glace, petit milliard de flocon cristallisé posé délicatement sur la terre sèche, si pur que le rouge écarlate du sang étalé sur cette soie blanche paru presque irréel et le mot cristallin sortit définitivement de la description du paysage.

Un bruit vint se joindre à la parade. Un bruit de succion. Ce bruit ne m’était pas inconnu dans le fait que je l’entendais tous les jours où moi-même a besoin de se nourrir, car ce son était celui que faisait une bouche suçant une plaie ouverte.

Je me rapprochai lentement de là où je pensais venir les bruits et effectivement, à la lisière des clôtures – entre les Aegiros, se tenait un vampire mâle face à un des arbres et dos à lui, de sorte que la personne qui se trouvait derrière fut dissimulé par sa carrure élancé.

La flaque de sang par terre se découpait dans le décor harmonieux d’un jour d’hiver.

Un hoquet sortit d’une bouche dont on distinguait la voix aiguë d’un enfant et un gémissement sortit de la bouche du vampire.

Je n’y crois pas ! Il prend son pied en le buvant.

Je fis quelques pas dans leur direction en prenant soin de garder ses distances mais assez pour avertir son arrivée.

La communauté vampirique de France interdisait à tous ceux possédant des canines pointues de s’abreuver d’un enfant de moins de dix ans et j’étais prêt à parier que sa victime ne les avait pas, loin s’en faut.

Le bruit de succion s’interrompit sec et le vampire tourna la tête de sorte que l’on ne pouvait pas manquer le sang dégoulinant de son menton. Il lécha à coup de langue rapide pour le récupérer.

-Vous êtes qui ? Demanda-t-il d’un ton inquisiteur. J’aime finir.

Je haussai les sourcils mais répondit néanmoins :

-Mon nom est Asher et je veux bien le croire mais il est interdit de boire un enfant aussi jeune. C’est la règle chez les vampires.

Il fronça les sourcils, passa le dos de sa main sur sa bouche pour s’essuyer – bon petit samaritain, se leva et me fis face. L’enfant était toujours caché derrière lui de telle manière que je ne pouvais pas voir l’enfant et savoir qu’il était en vie. Je résistai à l’envie de lui demander de se pousser mais me retint. Ce n’est pas la peine de rejeter l’attention sur lui.

-Správný termín je upír.

Je clignai lentement des yeux comme quand j’ai du mal à comprendre ce qu’on me dit et c’était effectivement le cas, le seul mot que je pu identifier fut:

-“Upír” ici se dit “vampire”.

Il plissa les yeux. Et merde, je suis tombé sur un étranger.

-Že Règles … bylo to, že jsem poslouchal víc, je to ztráta času, maugréa-t-il.

Sur ce mot il se retourna et replongea ses crocs dans sa victime avant que l’on ait pu penser “ouf”.

La colère me monta au nez. Étranger ou pas, les règles sont les règles et elles stipulaient que toutes personnes enfreignant les règles se devaient d’être exécuter.

Seuls les Faucheurs sont autorisés à prendre ce genre de décision. Ils sont élus par le sénat de l’île de France. Le sénat est construit principalement de Vampire avec seulement deux ou trois humains qui sont essentiellement des guides de sang.

Les guides de sang sont des humains liés à un vampire par le sang. Il suffit de boire le sang de l’humain et que cette personne soit consentante sinon la liaison est caduque. Évidemment certains humains sont plus résistants même consentants et il faut plusieurs fois boire le sang de cette personne dans la même journée – pas forcément beaucoup, mais parfois pendant plusieurs jours.

Je me dis que j’avais de la chance, beaucoup de chance d’avoir été choisi en tant que Faucheurs, comme ça pas besoin de se justifier auprès des autorités locales.

-L’empire français interdit à tous vampires de boire le sang d’une humaine de moins de dix ans. En conséquence, toutes personnes ayant enfreint la loi doivent être exécutée.

Sa voix me parvint comme un murmure glacial.

-Tu vas faire quoi ? Aller dégage, druh hloupý!

L’enfoiré, il comprend ce que je lui dis.

Les derniers mots étaient prononcés dans son autre langue mais il n’était pas difficile de comprendre qu’il m’insultait.

L’enfant gémit derrière lui… et pas de plaisir.

Tant pis, l’enfant passe en premier.

Je marchai droit sur eux en sortant un pieu en hématite de mon manteau, attrapa le vampire par le col et le tirai en arrière en levant le pieu. Il grogna sous l’effet de la frustration et s’immobilisa à la vue de l’arme.

Je n’attendis pas de lui laisser le temps de se ressaisir. Je lui plongeai le pieu dans la poitrine et sentis la peau se ramollir et forcer en atteignant les côtes. L’arme continua néanmoins le trajet sans être gêner – avantage d’être un Vampire : ne pas avoir besoin de forcer pour atteindre la cible.

Au moment où le pieu atteignit le cœur, les yeux du vampire roulèrent dans leur orbite. Du sang gicla de sa poitrine ainsi que de sa bouche et atterrit tout autour de lui les éclaboussant au passage moi et l’enfant. Au bout de plusieurs secondes, le vampire s’écroula, inerte dans la neige. Je retirai le pieu du corps et entrepris de l’essuyer avec mon chiffon noir huilé, puis je le remis dans ma poche interne de mon manteau avant de me tourner vers l’enfant.

Le choc me fit tituber. Au début je pensais que la voix aiguë de l’enfant appartenait à un garçon mais en l’apercevant, aucun doute sur le sexe, c’était bien une fille… une fille magnifique. Elle était recroquevillée sur elle-même, la tête dans les genoux de façon à ce que ses longs cheveux cuivrés s’éparpillaient sur le sol et recouvraient son dos jusqu’à ses genoux tel un voile de flammes.

Elle sanglotait. Le volume de ses pleurs était tellement bas qu’un humain normal n’aurait pas pu l’entendre à moins de coller son oreille tout près de son visage.

Je la regardai pleurer pendant plusieurs minutes en me demandant comment oublier quelque chose de ce genre. C’est simple, on n’oublie pas.

Je m’accroupis près d’elle sans la toucher pour éviter de l’effrayer, sinon ce serait vraiment le bouquet !

-Petite ? Sais-tu ce qui s’est passé ? Demanda-t-il le plus calmement possible.

Ses sanglots s’interrompirent d’un coup. Elle leva la tête de quelques centimètres et s’essuya le visage de sa manche. Elle remit son bras autour de ses genoux puis leva le visage vers lui. Dès que ses yeux entrèrent dans mon champ de vision, je sursautai.

Ses yeux étaient pareils à un champ de pissenlit avec une touche de miel d’automne. Des yeux ambrés, marron virant vers le jaune comme si le soleil se refléter à l’intérieur… sauf que, le soleil ne s’était pas encore levé.

Ses yeux étaient magnifiques.

Elle pleurait.

Son visage était rougi par ses larmes et le froid n’arrangeait rien au contraire il gelait les perles cristallines qui roulaient sur son visage d’enfant. Son visage était rond et sa peau ; couleur ivoire. Sa bouche était mi-chemin entre fine et pulpeuse, un entre deux agréables à regarder. Son nez nubien semblait si fragile comparé à ses yeux, parce que ses yeux – outre le fait que leur couleur est sublime, contenait bien plus que de la couleur. Dans ces yeux si jeunes, contenaient plus d’intelligence que de naïveté. Physiquement elle paraissait avoir au moins cinq ou six ans mais dans ces yeux reflétait des horreurs qui n’aurait pas dû y être – pas si jeune. Désolé, je me répète mais c’est plus fort que moi.

Jeune, jeune, jeune, trop jeune. Voilà ce que je voyais. Et maintenant que je l’avais vu, mon esprit refusé de croire ce qu’il y avait sur son cou.

Une masse sombre et gluante, de couleur rouge foncé. Voilà ce que je voulais voir.

Du sang. Voilà ce que je ne voulais pas voir.

Et merde…

-Tu saigne.

Oui, c’est ridicule de le dire à voix haute, mais merde, c’est qu’une enfant bordel.

Je secouai la tête faisant virevolter mes cheveux blonds sur mes épaules et approchai une main de son cou. Elle eut un mouvement de recul et écarquilla les yeux.

-Je ne te ferais pas de mal, il faut que j’analyse à quel point il t’a blessé.

Je refis une tentative et elle se raidit mais sans s’écarter pour autant, bien ! J’écartai ses cheveux. Ils étaient doux et épais. On aurait eu envie d’y plonger. Ils glissaient entre ses doigts au point que quand je voulu les mettre derrière, ils retombèrent devant, je soupirai.

La petite fille prit une inspiration tremblante et passa sa main droite au-dessus de sa tête, pris sa masse de cheveux dedans et les ramena par l’arrière pour les ramener devant de l’autre côté.

Sa morsure était maintenant bien visible sur sa peau claire. Il n’y était pas allé de main morte.

Sa peau avait été déchiquetée au niveau de la clavicule et le sang continuait de couler abondement sur son tee-shirt pour imprégner ensuite son pantalon… d’ailleurs…

-Tu ne fais pas partie de la noblesse n’est-ce pas.

La petite fille continua de regarder le sol en évitant délibérément mon visage. Je souris. Il n’y a que ceux de la basse-cour pour être aussi prudent. Dans la noblesse le pourcentage est quasiment nul. C’est pour dire.

-La plaie ne s’est pas arrêtée de couler, il faut le soigner le plus vite possible si tu ne veux pas te vider de ton sang ou choper une infection. (Je lui tendis une main) Viens, il faut la pensée.

Elle se contenta de secouer la tête de gauche à droite en serrant plus fort ses genoux contre sa poitrine. Je soupirai.

-Comme tu voudras.

Je me levai et sentis une pression tirée sur mon manteau. Je baissai les yeux. La petite tirait sur mon costume.

Elle leva la tête et planta ses yeux ambrés dans les miens. J’eus du mal à soutenir son regard.

-Est-ce que… (Elle baisse les yeux, se racla la gorge, et les releva) Est-ce que je peux rester avec toi ?

Je fronçai les sourcils mais n’eus pas à réfléchir :

-Non !

Elle sursauta et remit sa tête au creux de ses genoux. Je me repris :

-Je veux dire, je resterai jusqu’à qu’ils aient fini de te soigner mais après je repartirai. Tu ne peux pas venir.

Elle releva la tête.

-Pourquoi ?

J’ouvris la bouche puis la refermai. Pourquoi ? La question était simple et la réponse aussi, mais… comment expliquer à une enfant que le métier qu’on fait n’est pas des plus calme et surtout plus dangereux que d’autre. Là est toute la question.

-Parce que je ne peux pas.

Que dire de plus ?

-Pourquoi ?

Je soupirai de nouveau.

-Écoute, il faut te soigner et ensuite je te ramènerai chez tes parents. D’accord ?

Elle se contenta de froncer les sourcils.

-Où sont tes parents ?

Pas de réponse.

-Où est ta mère ?

-Vaut mieux pas que tu la connaisses.

Ah, première vraie réponse et ce n’était pas ce que j’attendais.

-Et ton père ?

-Je ne le connais pas.

Ah.

-Je suis sûr que ta mère est inquiète de ne pas savoir où tu es. Dans tous les cas je ne peux pas te laisser ici.

-Et pourquoi pas, souffla-t-elle.

Je me passai la main dans les cheveux, décontenancé.

-Pour l’instant, je préfère te savoir en bonne santé, (Je tendis la main) viens je vais t’amener voir une doctoresse qui a l’habitude de ce genre de choses.

Elle ne bougea pas d’un poil. Je soufflai, exaspéré.

-Bon, après tout si tu préfères rester là dans le froid, à ton aise, mais ne viens pas te plaindre.

Je me retournai et rebroussai chemin.

-Je ne peux pas…

Sa voix me parvint dans un murmure. Je ne pris pas la peine de me retourner.

-Tu ne peux pas quoi?

-Bouger…

Je fronçai les sourcils et me retournai. La pâleur de son visage faisait peur à voir. Elle avait fermé les yeux.

-Pourquoi ?

Sa réponse n’aurait pas pu me parvenir si j’étais humain.

-Froid…

Ses muscles se détendirent. Ses mains tombèrent dans le sorbet de sang.

-Merde !

Je bondis vers elle et pris son visage entre mes mains puis touchai son front. Il était glacé. Elle était recouverte de sang. De son sang. Le flux de sang commençait à ralentir. Normal, le corps ne peut rejeter que ce qu’il contient donc quand il n’y en a plus…

Il y avait bien une solution pour refermer la blessure plus vite, malheureusement ce n’était pas le meilleur moyen. En même temps…en regardant son visage si serein, je me dis qu’il était impensable de la laisser dans cet état.

Tant pis, je m’occuperais des conséquences plus tard.

J’empoignai ses cheveux d’une main pour les mettre derrière et fis basculer sa tête dans mon autre main pour pouvoir exposer son cou.

Je m’approchai. L’odeur du sang était enivrante. Il rappelait l’odeur d’un feu de bois entouré d’un champ de tulipe diaprée.

Elle sentait bon. Je rapprochai ma bouche de la morsure, écartai mes lèvres et passai délicatement ma langue sur un des deux trous. Le goût du sang explosa dans ma bouche. Il descendit jusque dans ma gorge en laissant une traînée à la fois acide et amère. J’avais l’impression d’être emporté dans une immensité de rêve. Ses rêves à elle. Je ne voyais qu’une série d’image confuse et floue. Je ne m’attardai pas. Je léchai le deuxième trou et les images se transformèrent en sensations. Et je compris mon erreur.

Très peu de gens ont le sang jouissif. La plupart du temps, ils sont transformés en objet sexuel. Ça excite les vampires. Je n’en avais jamais connu personnellement, seulement de vue mais je compris les difficultés pour se débarrasser de ce plaisir car oui, cela pouvait facilement être considéré comme une drogue, facile.

Je gémis, c’était plus fort que moi, la sensation que me faisais son sang contractait mon bas ventre sans le vouloir et je le sentis gonfler dans mon pantalon.

Et merde !

J’ouvris les yeux sans pouvoir me rappeler quand je les avais fermés et m’écartai précipitamment de la petite fille. La morsure était en train de se refermer mais ses battements étaient encore trop espacés et faibles.

Bon, je ne vais pas tenter le diable. Je la pris dans mes bras et m’élançai dans la forêt dont le ciel commençait à s’éclaircir.

{~~~}

Le ciel était pourpre à l’horizon. Le soleil se lèvera dans moins d’un quart d’heure. Je m’arrêtai devant les marches du perron. Quatre marches précédaient la porte d’entrée. Les piliers soutenant le petit toit du perron paraît sculpter dans le marbre alors que quand l’on s’approche, le toucher est moins froid, plus rugueux – du bois. Pourtant même en sachant cela, l’illusion demeurait. Les marches semblaient avoir été taillées dans la pierre ici même comme si l’on avait trouvé une utilité à cette pierre avant même de créer le reste de la maison. Le mur était composé de petites briques rouges superposés en escalier – sinon les briques ne tiennent pas.

La porte avait plus de cinq cent ans, le menuisier l’avait sculpté de sorte que les dessins inscrit dans le bois se voient assez subtilement quand on y fait que passer et que l’on ne s’arrête pas trop près. De petites spirales se découpaient dans l’encadrement et un heurtoir y été fixer.

Baissant la tête, je vis les tous premiers rayons de soleil – les plus faibles et les plus frais de la journée, se réverbéraient sur les cheveux de la gamine. À la lumière du jour, ses cheveux étaient d’un cuivré intense avec un reflet doré assez prononcé. C’était magnifique, malheureusement je ne m’attardai pas pour autant. J’entrai.

L’obscurité totale se fit à l’instant où la porte se referma complètement. J’attendis quelques minutes le temps que mes yeux s’habituent à la pénombre. Le soleil n’était pas vraiment mortel mais il arrive que certains vampires soient tentés de le regarder de face et il arrive qu’à ce moment-là les vampires mineurs se brûlent la rétine – littéralement. Mais même pour un vampire majeur ils ne sont pas forcément immunisés contre lui. Il faut toujours un temps d’adaptation quand on passe de la lumière du soleil à l’opacité.

Je dû attendre quelques secondes. Le hall d’entrée était petit. Une commode était placée à droite contre le mur et une lampe à gauche, un peu plus haut que sa tête. J’appuyai sur l’interrupteur à côté de la porte et le peu de lumière qu’elle apporta suffit à m’éblouir. Lumière, obscurité, lumière… génial.

Une femme se planta devant moi les mains sur les hanches. Marie-Liesse était plutôt petite et rondelette avec des cheveux bouclés donnant l’illusion d’une coiffe. Vampire à trente-cinq ans, elle était l’assistante d’un médecin et connaissait plus de traitement et de maladie ainsi que le corps humain pour avoir gagné le statut de doctoresse au sein de la communauté vampire.

Son visage exprimait le mécontentement et l’exaspération mélangés.

Là c’est clair, je vais morfler.

Elle baissa les yeux vers la petite fille et dériva sur son cou. Son expression s’adoucit. Dès qu’elle releva les yeux, elle me lança un regard durcit.

Quand je vous dis “lumière, obscurité, lumière” ça marche aussi avec Marie-Liesse. Surtout avec Marie-Liesse !

-Qu’as-tu fait encore ?!

Je grimaçai.

-J’ai surpris un tiers vampire entrain de la mordre dans la forêt.

Elle écarquilla les yeux et la dévisagea attentivement. Ce qu’elle voyait était une touffe de cheveux rouge foncé dans la pénombre de la pièce appartenant à une petite silhouette. Le sang sur ses vêtements était quand même bien visible. Elle s’approcha et tendit les bras pour me la prendre. Je serrai un peu plus. Je n’avais pas envie de la lâcher.

Elle fronça les sourcils.

-Il faudra bien que tu la lâche un jour ou l’autre (elle secoua la tête), il va falloir que tu m‘explique tout ce qui s’est passé, en entendant viens avec moi, on va la raccommoder.

Elle se détourna et ouvrit la porte “magique”. Quand je venais de me faire transformer en vampire, on m’avait amené ici et j’ai été impressionné quand j’ai descendu les escaliers menant dans les souterrains. Je le suis toujours d’ailleurs. Le seul inconvénient, c’est que les escaliers n’en finissent pas.

La dernière fois que je les avais comptés, il y en avait cent cinquante-deux. Et ce jour-là, je n’eus pas l’occasion de revérifier comme chaque fois que je passais ici. Je me concentrai principalement sur le petit bout que je tenais dans mes bras. Elle s’était légèrement réchauffée et avait repris quelques couleurs.

Je souris. C’est déjà mieux !

À la fin de l’escalier à la structure arrondie, l’on tombait directement sur une grande pièce illuminée depuis le sol au plafond. La pièce faisait environ dans les quarante mètres carrés recouvert de tapis or et rouge. Les tapisseries étaient crème avec des motifs spiraux. Les lumières tamisées des lampes à huile contre les mûrs donnaient une ambiance douce et royale et le lustre sertie de plusieurs dizaines de petits cristallin éclairées avec une dizaine de bougie au milieu de la pièce illuminait le reste. Quelques plantes étaient posées un peu partout, certaines aux entrées, d’autres à côté des fauteuils en velours rouge bordeaux, blanc, et noir – un vrai salon d’aristocrate. Une porte se découpait dans le mur de droite. Je trouvais qu’elle faisait tâche dans le décor luxueux. Le bois était écaillé sur la surface et on devinait toutes les vieilles couches de peinture à travers les craquelures. Oui, elle faisait vraiment tâche. Il serait temps de la remplacé.

-Viens !

Marie-Liesse me guida à travers la pièce jusqu’à cette porte. Elle l’ouvrit et disparue à l’intérieur. Je me mis de côté pour pouvoir passer avec la fille.

La pièce dans laquelle je me trouvais était mal éclairée au premier abord puis la lumière se fit plus intense et une table se trouvait au milieu avec une trousse de soin sur le comptoir plaqué contre le mur.

-Allonge-là!

Les phrases étaient courtes et simples. C’est toujours comme ça avec elle : un mot, une intonation, un ordre, rien de plus à dire. Au moins c’est facile à comprendre.

Je m’approchai de la table servant de table d’examen et de poste opératoire, c’est arrivé une fois avec moi après m’être ramassé dans mon travail. Je l’allongeai délicatement et l’entendit gémir – de douleur à mon avis.

-Tu ne peux pas être un peu plus doux, s’il te plaît !

Je la regardai, les sourcils froncés.

-Je fais ce que je peux d’accord ?!

Je vis les yeux de Marie s’écarquillaient légèrement en même temps que je me rendis compte comment je lui avais parlé. J’avais haussé le ton et c’était la première fois.

Son visage se ferma et je me maudis pour ça. Je ne voulais pas la blesser.

-Ecoute…

Elle me montra le plat de la main pour me faire signe de me taire. D’accord, je suis foutu.

-Plus tard !

Elle se détourna et s’affaira à localiser les blessures de l’enfant. Au moment où elle déboutonna son haut, je détournai les yeux, c’était plus fort que moi, j’ai toujours l’impression de violer l’intimité de quelqu’un. Marie me jeta un coup d’œil interrogateur.

-Ce n’est qu’une enfant, ne me dis pas que tu te sens mal pour elle aussi ?

Je lui jetai un regard déplaisant.

-J’ai le droit de me sentir comme je veux.

Elle secoua la tête et retourna au travail.

-Quoi ?

Elle soupira et se tourna vers moi en s’appuya la hanche contre la table.

-Tu couches avec, aller, une femme par semaine mais à chaque fois que je dois déshabiller quelque personne que ce soit sur une table de travail tu détournes les yeux à cause de ton malaise.

Je la foudroyai.

-Et alors ? Qu’est-ce que ça peut te faire ?

Elle écarta les mains comme pour désamorcer une bombe.

-Rien, c’est juste que je ne comprends pas (elle secoua la tête) et peut être que j’en avais envie…

Je clignai lentement des yeux et sentis un sourire contrit se dessiner sur mon visage.

-Bon anniversaire.

Son visage s’illumina.

-J’ai cru que tu avais oublié.

À vrai dire j’avais belle et bien oublié mais le dire n’aurait pas été une bonne idée.

-Comment j’aurais pu ?

Il aurait fallu que je tombe sur une fille en train de se faire attaquer par un vampire et d’avoir failli jouir après avoir goûté son sang. Non sérieusement, rien de très inhabituel.

Néanmoins elle sourit, ses yeux s’illuminèrent. C’est bien de mentir pour la bonne cause.

-Bon, à nous deux !

Elle retourna au déboutonnage du haut. Je me détournai de nouveau et Marie ne fit aucun commentaire. Hallelujah!

J’inspectai le décor de la pièce minutieusement. La porte de l’autre côté de la pièce menait à un couloir. Je me dirigeai vers les tubes à essais et regardai les différents produits de plusieurs couleurs : jaune, bleu, blanc. Dans un des bols il y avait une matière blanche visqueuse. Je grimaçai. J’entendis quelque chose gratter derrière la porte et un léger miaulement.

Un chat. Je souris et ouvrit la porte pour le faire entrer.

-Ne le laisse pas entrer pendant que je travaille !

Je refermai la porte, pris le chat dans mes bras et me tournai vers elle.

-Avec ce qu’elle a vécu, je pense qu’un chat et le dernier de tes soucis.

Elle ne fit aucun commentaire et je fronçai les sourcils, ça ne lui ressemblait pas. Je me tournai vers elle et la vis fixer attentivement la fille. Je m’approchai le chat dans les bras.

-Que se passe-t-il ?

Elle continuait de fixer la petite fille avec attention. Je suivis son regard et aperçu le pansement sur son cou et quelques-uns sur ses jambes. Je ne me souvenais pas qu’elle en ait à cet endroit. Il ne restait que sa culotte et une couverture sur ses jambes ainsi que sa chemise qui était ouverte et écartée le plus possible, elle lui couvrait les bras. En remontant sur son visage, je le vis intacte et vivant. J’étais fasciné. Elle était tellement vivante, tellement chaude. C’était agréable d’être en compagnie d’une humaine, depuis le temps que j’avais été transformé en vampire je n’avais eu que très peu de contact humain.

-Elle à des traces de morsures sur la cuisse intérieur. Des traces récentes, mais aussi anciennes. À cet âge, c’est du viol pur et dur.

Mon cœur rata un battement.

-Elle à quel âge d’après toi ?

-Je ne dirais pas plus de six ans. Mais cette longueur de cheveux est impressionnante pour son âge.

-Huit…

On se figea tous les deux. Je fis un tour sur moi-même croyant que la voix venait de derrière.

-Comment te sens-tu, demanda Marie.

Je me retournai vers elle et suivis son regard. La petite fille avait ouvert les yeux et essayait déjà de se lever. Coriace la gamine !

-J’ai presque huit ans, souffla-t-elle.

Marie s’étonna.

-Tu es sûr de toi ?

La petite fille fronça les sourcils, visiblement vexée.

-Oui, je suis à peu près sûr de savoir quel âge j’ai.

Je pouffai. J’avais l’impression d’avoir la réplique parfaite de Marie-Liesse, mais en plus jeune. Ça promet.

Les deux me jetèrent un regard noir. Je me pliai en deux, encore plus euphorique. Sûrement à cause des turbulences, le chat sauta de mes bras à la table d’examen. La fillette l’examina d’un œil critique.

Marie secoua la tête et se tourna vers elle.

-Comment t’appelles-tu ?

-Géorgie.

-C’est un beau prénom.

-Peut-être.

-Te rappelles-tu ce qu’il s’est passé ?

Elle fronça les sourcils.

-Oui…

Je pense qu’il va falloir lui arracher les mots de la bouche, comme si je n’avais que cela à faire. J’hallucine.

***

– Il faut que tu retrouves d’où elle vient Asher.

Je passais mes mains dans les cheveux.

– Tu crois que je ne le sais pas ? Demande-lui toi ! À moi elle ne me parle pas, m’énervais-je contre elle.

– On dirait que tu t’es entiché d’elle Ash… Fais attention à toi, c’est tout ce que je te demande. Elle parlera, justement parce que c’est toi.

À ces mots mon cœur se mit à battre plus vite. Elle avait raison. J’étais en train de m’enticher d’elle, et ce n’était pas bon du tout. Et que cela soit pour guérir ou pour tuer, celui ou celle qui plante ses crocs dans la peau d’une mineure, est exécuté sur le champ.

Je ne pouvais me le permettre, pas maintenant.

Je m’assis dans un des fauteuils du salon, et examinai Marie. Elle m’examinait déjà en retour.

– Je dois trouver d’où elle vient, et il ne faut plus avoir de contact avec elle.

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